La fin du programme Erasmus : quel impact ?

1 étudiant Erasmus sur 4 accueilli par le Royaume-Uni est français

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Traduit par Robert Guthrie avec Adam Harrata

Pour les étudiants français qui font une partie de leurs études dans un autre pays de l’Europe, les universités renommées du Royaume-Uni ont un je-ne-sais-quoi qui attire, selon les données de l’Union européenne.

En effet, sur l’ensemble des étudiants Erasmus qui sont partis étudier au Royaume-Uni entre l’automne 2016 et l’été 2019, environ un quart était français. Les étudiants français au Royaume-Uni ont ainsi constitué la deuxième plus grande communauté étudiante française en Europe dans ce même laps de temps. 

En outre, il est raisonnable de penser que cette attraction soit réciproque : au cours de la même période, près d’un étudiant Erasmus britannique sur quatre est parti étudier en France. Ce groupe a constitué la deuxième plus grande proportion de tous les étudiants britanniques en échange Erasmus pendant cette durée. Entre 2016 et 2017, la France a même été la première destination pour les étudiants britanniques Erasmus sur le continent européen.

La question maintenant est de savoir si cette alliance académique sera aussi robuste dans le monde post-Brexit, les universités britanniques n’étant plus intégrées au programme Erasmus à partir du mois de septembre. Downing Street a déjà écarté la possibilité de participer à l’échange en tant que partenaire non-européen, comme le font la Turquie, la Serbie, l’Islande, la Norvège, le Liechtenstein et la Macédoine du Nord. 

Cependant, Londres a annoncé il y a quelques semaines la création de son propre projet d’échange, qui sera nommé en hommage à l’informaticien Alan Turing, bien connu pour avoir déchiffré le code de la machine Enigma. Selon un communiqué de presse du gouvernement britannique, l’administration de Boris Johnson s’est engagée, à travers le projet Turing, à investir 100 millions de livres dans des échanges similaires à ceux d’Erasmus pour des étudiants du Royaume-Uni. Le gouvernement espère également étendre les opportunités aux étudiants les moins favorisés.

Alors que la Grande-Bretagne veut recalibrer ses relations internationales, dans l’idée d’incarner davantage une Global Britain, le projet Turing mettra l’accent sur les opportunités de collaborer avec des institutions de pays non-européens ainsi qu’avec celles qui se trouvent au sein des états membres de l’Union européenne. 

Sir Steve Smith, « International Education Champion » du gouvernement à Londres et vice-chancelier de l’université d’Exeter, située au sud de l’Angleterre, a affirmé que le projet Turing « rendra réel notre engagement pour une Global Britain. »

De plus, alors que 10 des 75 meilleures universités au monde sont situées dans des états membres de l’Union européenne, selon les Times Higher Education World Rankings 2021 (Classement Mondial des Établissements d’enseignement supérieur de l’année 2021 de The Times de Londres), Downing Street espère que le programme Turing va permettre à davantage d’étudiants des opportunités académiques à travers le reste du monde.

La fin des études européennes « low-cost » ?

Les échanges franco-britanniques seront tout de même possibles dans le monde post-Brexit. Mais l’idée de faire un échange européen sera-t-elle bientôt moins attrayante pour les étudiants du Royaume-Uni ?

Effectivement, les étudiants qui veulent faire une partie de leurs études en Europe seraient obligés de dépenser une proportion significative de toute subvention Turing pour des cartes de séjours et pour l’assurance maladie. Cela remet en cause l’incitation à des échanges en Europe à faible coût, le projet Erasmus étant un symbole de la circulation libre.

De plus, il est clair que le budget du projet Turing (100 millions de livres) sera inférieur aux 130 millions de livres actuellement reçues par le Royaume-Uni dans le cadre du projet Erasmus. Cela pourrait bien limiter les opportunités d’échange en Europe.

Cette situation inquiète en particulier les professeurs de langues vivantes européennes dans les universités britanniques.

Afin de valider une licence en langue vivante, les étudiants linguistes sont normalement obligés de passer une période comprise entre 3 mois et une année à l’étranger, dans le but d’améliorer leur connaissance de la langue. Dans de nombreux cas, les étudiants peuvent demander une subvention Erasmus soit pour réaliser des études, soit pour effectuer un stage.

D’après Dougal Campbell, maître de conférences pendant 27 ans en français à l’université de Glasgow en Écosse ayant pris sa retraite en janvier, le projet Erasmus a transformé les vies de nombreux étudiants. L’université, l’une des plus anciennes du monde, est le troisième plus grand tributaire du soutien financier reçu par Royaume-Uni au travers du programme Erasmus.

M. Campbell a exprimé que « Sans le programme Erasmus, nos étudiants n’auront pas les options bien établies d’étudier dans une université française ou belge, ni les ressources pour effectuer un stage en France. »

Ce chevalier de l’Ordre des Palmes académiques a ajouté que « le projet a ouvert des portes, élargi des esprits et augmenté le nombre d’opportunités. »

« Nous connaissons des étudiants qui font une carrière en informatique en France, par exemple, après avoir effectué un stage financé par le projet Erasmus dans une entreprise de technologie » ajoute le professeur. « Certains étudiants travaillent au sein des agences de traduction en France, à la suite d’études dans des universités françaises. »

Mauvaise nouvelle pour des étudiants français visant le Royaume-Uni ?

Quitter le projet Erasmus pourrait bien aider Londres à rompre avec Bruxelles, dans le but de renforcer la souveraineté britannique. Au cours des années scolaires 2016-17, 2017-18 et 2018-19, le Royaume-Uni a reçu entre 50 et 60 % d’étudiants européens de plus qu’il n’en a envoyé en Europe.

Or, malgré la dimension « Global Britain » du projet Turing, les universités renommées du Royaume-Uni pourraient bientôt cesser d’être aussi attractives pour les étudiants de l’Europe.

En vertu des annonces actuelles, le projet de substitution ne soutiendra que les étudiants du Royaume-Uni qui cherchent à partir à l’étranger, et non les étudiants internationaux qui souhaitent venir en Grande Bretagne. Tandis que les programmes d’échange d’autres pays hors UE, comme celui de la Suisse, s’engagent à soutenir réciproquement les étudiants étrangers, le principe de sécurité académique collective vis-à-vis des frais de scolarité pourrait disparaître. Coup dur donc pour les étudiants francophones pour qui étudier au Royaume-Uni est très populaire.

Après le Brexit, les français pourraient donc être rebutés par les frais de scolarité britanniques, souvent chers, dont ils sont actuellement exemptés dans le cadre d’Erasmus. Alors que les étudiants français ne paient qu’en moyenne 189 euros par an de droits d’entrée dans les aux universités publiques françaises, et approximativement 600 euros par an pour les grandes écoles, les frais de scolarité britanniques s’élèvent en moyenne à 9 000 livres (10 263 euros) par an.

Les étudiants européens pourraient néanmoins obtenir de l’Union européenne une Bourse de mobilité internationale, pour soutenir les études dans un pays qui ne fait pas partie de l’union. Cependant, il est difficile d’envisager une situation où Bruxelles ne donnait pas la priorité à des échanges intra-UE.

Pour M. Campbell, la possibilité de voir des restrictions sur la mobilité internationale des étudiants européens est inquiétante pour des professeurs de langues vivantes, car il se peut que l’éventail des points de vue en cours se rétrécit.

« La présence des étudiants autochtones français qui nous rendent visite est sans prix en cours de traduction, surtout s’ils viennent de différentes universités et poursuivent de différents cursus, et s’ils ont plusieurs accents et viennent de multiples classes sociales. Il existe une variété de contributions en ce qui concerne l’usage de la langue. »

Les établissements supérieurs britanniques pourraient effectivement conclure des accords avec les universités dans l’Union européenne. Un moyen de maintenir l’attractivité des institutions britanniques dans le contexte post-Brexit serait ainsi de réintégrer les exemptions de frais de scolarité sur une base université à université. Il n’est toutefois pas certain que cela soit possible avec les pressions supplémentaires qu’engendre la pandémie de Covid-19.

Celles et ceux qui mettent en œuvre le Brexit maintiennent que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne offre l’opportunité de rééquilibrer les liens internationaux du Royaume-Uni, y compris les liens académiques, en plaçant au premier plan une approche « Global Britain ». Il reste pourtant à confirmer si le partenariat académique dont bénéficient actuellement les institutions britanniques et françaises sera aussi solide dans 10 ans qu’elle ne l’est maintenant.

Photo Daderot, Public domain, via Wikimedia Commons

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